Il n’y a pas si longtemps encore, nous connaissions notre tribu, nous lui étions fidèles. Elle faisait partie de nous et nous d’elle. Mais en cette nouvelle ère, voilà que nous appartenons maintenant à plusieurs tribus auxquelles nous ne sommes plus aussi fidèles… Les temps changent.

Les tribus changent. La tribu reste.

Visage multicolore non genré qui illustre nos appartenances à plusieurs tribus.
Et vous, à quelles tribus appartenez-vous?

La tribu, essentielle aux humains, se transforme d’une époque historique à l’autre :

  • La Préhistoire commence avec l’apparition de l’australopithèque (le premier homidé) il y a 5 millions d’années, suivie par le Paléolitique où l’homme (l’ancêtre de notre lignée), toujours nomade, apparaît il y a 3 millions d’années et le Néolitique, le fameux âge de pierre, où des tribus deviennent sédentaires, cultivent le sol et élèvent du bétail, il y a environ 10 000 ans au Proche-Orient;
  • L’Antiquité s’installe vers -3500 ans au moment de l’apparition de l’écriture jusqu’à la chute de l’Empire romain en 476;
  • L’époque médiévale ou Moyen Âge s’étend jusqu’à la découverte de l’Amérique en 1492;
  • Les Temps modernes se poursuivent jusqu’à la Révolution française en 1789;
  • L’époque contemporaine s’y substitue jusqu’à nos jours, mais…

 

… cette ère de modernité s’achève depuis quelques décennies et nous passons, faute de meilleur mot, à l’ère de la postmodernité, laquelle reste encore largement à définir puisque nous sommes au début de ce mouvement. Imaginez! 350 ans s’étaient déjà écoulés depuis le médiéval quand Baudelaire utilisa le terme «modernité» —qui s’est alors imposé— en remplacement de ce qui s’était appelé jusque-là «postmédiévalité»!

 

Ce rappel historique, c’est d’abord pour nous situer et nous rappeler que chaque grande époque a été de plus en plus courte. Que le mouvement s’accélère.

 

Ce rappel, surtout, pour réaliser que la tribu, le clan a toujours existé. L’humain est non seulement un être relationnel, mais il a toujours vécu en groupe. Sa survie et son développement en ont toujours dépendu.

 

C’est viscéral, humain et culturel.

Culturel, dites-vous?

 

Oui, culturel. C’est le mot qu’on donne aux comportements sociaux. La culture n’est pas un phénomène récent. Elle existe depuis que l’homme existe. Mais on ne la nommait pas comme ça.

 

Imaginons une tribu, un clan en préhistoire. Les hommes et les femmes se rencontrent, s’accouplent. Les femmes accouchent d’enfants. Les enfants sont élevés et protégés par le clan tout entier. Ils apprennent la culture de leur tribu : comment communiquer entre eux, la cueillette de fruits, la chasse, se défendre, se protéger du froid, des animaux dangereux, des autres tribus… Plus ça change, plus c’est pareil dit l’adage populaire!

 

De tout temps, la culture c’est ce que l’enfant a absorbé dès le plus jeune âge, avant même de pouvoir parler ou se déplacer.

 

Je plongeais récemment dans une télésérie, Babies (disponible en français sous le nom de Poupons), qui explore comment les tout-petits apprennent dès les premiers mois, alors ouverts à toutes les langues, les visages, les couleurs, les formes… aptitude qui se diluera rapidement au fur et à mesure qu’ils auront organisé cette complexité en groupes repères sur lequel le reste de leurs apprentissages se construiront. Bref, très jeunes, ils reconnaîtront leur tribu, et la tribu les reconnaîtra.

 

Nous sommes construits comme cela. Depuis le premier jour de nos vies. C’est donc à la fois génétique et culturel.

De modernité à postmodernité, qu’est-ce qui change?

Un profil sur fond de cercles colorés juxtaposés pour illustrer les différents clans auxquels nous appartenons
Une seule personne, plusieurs tribus.

La tribu, avec toutes ses facettes —de la famille au petit village, à l’entreprise, à la ville, au pays—, ne se vit déjà plus comme à l’ère de la modernité et du contemporain.

 

Un des penseurs qui l’explique bien est le Français Michel Maffesoli, auteur de Le temps des tribus (1988). Pour lui, le trépied de cette époque qui s’achève était :

  • l’individualisme (je me construis dans un groupe),
  • le rationalisme (je pense),
  • le progressisme (l’évolution est prévisible, constante).

 

Alors que le post-modernisme repose sur celui-ci :

  • le tribalisme (les groupes me construisent autant que je les alimente : il y a interdépendance)
  • l’émotionnel (je ressens)
  • le présentéisme (je suis dans l’ici et le maintenant, à travers des ruptures et des accélérations).

 

Ça veut dire qu’actuellement, chacun d’entre nous passe d’un groupe sociétal, entrepreneurial, communautaire, familial «tissé serré» (close-knit family), sur lequel on peut compter et qui peut compter sur nous… à plusieurs clans.

 

Notre destinée n’est plus l’affaire d’un seul clan, d’une seule tribu.

Les tribus post-modernes

 

Ces tribus variées auxquelles nous appartenons —pour un court temps ou plus durablement— se constituent autour d’intérêts et de valeurs. Elles s’articulent autour de thématiques fort différentes, comme :

  • la lutte aux changements climatiques,
  • la consommation,
  • le bricolage,
  • le sexe,
  • l’amour,
  • le sport,
  • l’économie circulaire,
  • la coopération,
  • la culture,
  • le voyage,
  • la spiritualité,
  • l’apprentissage,
  • la création,
  • le travail,
  • etc.

 

C’est ce qui fait que ces tribus auxquelles nous adhérons peuvent être durables ou éphémères. Notre adhésion à un style de produits, un sport que l’on pratique, ou un passe-temps qu’on découvre peut nous rapprocher ou nous éloigner d’un groupe sans que notre destin ne soit lié à vie à celui de ses membres.

 

Pensez-y. Vous-même, à quelles tribus appartenez-vous? Lesquelles sont éphémères, lesquelles sont stables?

 

Un mouvement qui se développe et qui touche le travail au coeur

Visages variés en âges, cultures, situations de vie personnelles ou professionnelles.
Chacun d’entre nous appartient à plusieurs tribus en fonction de ses intérêts et valeurs.

Évidemment, les nouvelles technologies contribuent à ce passage, mais pas seulement. Les déplacements rapides en avion, la mondialisation de l’économie, l’immigration massive, les échanges culturels, la contraception, les rapports égalitaires hommes-femmes, nos façons de travailler à distance, la place qu’occupent nos loisirs… tout cela redessine notre façon d’interagir, et même de communiquer.

 

Donc ça change même notre rapport au travail? Oui, cela change notre rapport au travail et cela change la façon de communiquer en situation de travail.

 

Déjà, pour la majorité d’entre nous, nous sentons, nous savons qu’il est révolu le temps d’un travail à vie. Les employeurs ne s’y engagent plus. Les personnes à leur emploi non plus. C’est énorme comme changement.

 

L’impact sur la communication est retentissant. Imaginez. À l’intérieur des entreprises cohabitent des individus évoluant dans de multiples tribus, chacun d’entre eux aux cultures initiales extrêmement variées. Si cela pose plusieurs défis — souvent stimulants — de communication aux personnes entre elles, c’est au niveau des organisations que le réaménagement est le plus complexe.

 

Pour plusieurs surtout, c’est se préoccuper enfin de communication interne, qui faisait office de «petite communication nécessaire» jusqu’à récemment, par opposition aux «nobles» aspects de la communication qu’étaient les relations publiques ou aux impératifs financiers qui favorisaient un certain marketing.

 

Les entreprises doivent maintenant se demander:

  • Comment communiquer pour diriger, orienter, réunir, assurer une cohérence, de tribu (celle de l’entreprise) à tribus?
  • Comment faire travailler ensemble, innover, des départements ou des équipes qui sont elles-mêmes des tribus internes?
  • Comment toucher, rassembler, faire rêver, partager à travers des histoires du quotidien?
  • Comment offrir des histoires dans lesquelles on apprend des autres, on échange, on coopère?
  • Et plus encore…

 

Peut-être devra-t-on emprunter au marketing, la notion de personas pour mieux comprendre comment s’adresser aux employés?

Mais ça, c’est une autre histoire. On y reviendra sous peu.

 

Vous texte vous fait penser à quelqu’un? N’hésitez pas à le partager.

À très bientôt,

 

Isabelle

À quelles tribus appartenez-vous?
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13 thoughts on “À quelles tribus appartenez-vous?

  • 2020-11-30 à 09:41
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    Article très intéressant et tellement vrai. Nous faisons tous partie de plusieurs tribus qui évoluent au cours de nos vies. Nous devons sans cesse nous intégrer à de nouveaux groupes et nous devons rester flexibles et adaptables. C’est parfois chaotique mais ça vaut le coup car ça nous permet de créer ce sentiment d’appartenance dont nous avons besoin et de pouvoir compter sur une communauté. Merci pour cet article!

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    • 2020-11-30 à 09:54
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      Merci pour ton commentaire senti. J’aimerais que les immigrants récents trouvent un soulagement à lire qu’ils peuvent appartenir à plusieurs tribus. J’y reviendrai.

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  • 2020-11-30 à 10:51
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    L’article me rejoint dans ma compréhension de notre lien d’appartenance et des tendances actuelles. Je me suis délecté. Je l’ai lu deux fois! Bravo Isabelle! Original et très très bien présenté. Et porteur pour des réflexions pour les individus et les entreprises. Il m’est venu une idée en lien avec les entrevues de sélection du personnel: La création de questions ouvertes en lien avec l’appartenance à »diverses tribus ». Un potentiel pour mieux connaître la personne qui offre ses services. Et également pour le candidat qui prépare son entrevue. Ne serais-ce pour mieux définir qui il est et mieux se connaître.

    👍

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    • 2020-11-30 à 11:08
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      Deux fois! Je suis choyée 🙂 J’aime bien ton idée de se servir de l’attribut -tribu, non seulement en communications internes, mais aussi en ressources humaines. Les deux champs COMM et RH mériteraient d’être beaucoup plus souvent liés en entreprise et dans les organisations. Peut-être qu’à force d’en parler… nous ébranlerons le cocotier!

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  • 2020-12-01 à 20:38
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    Article intéressant. Entre amis, nous nous sommes souvent dit que nous faisions partis de la même tribu. Celle que l’on a en commun, on ne sait pas pourquoi. En un clin d’oeil nous nous sommes reconnus, nous avons recollés nos histoires.
    Je voyage et je retrouve les membres de ma tribu.
    C’est fabuleux comment les humains même avec des cultures très différentes, peuvent autant se ressembler.
    merci pour ton article.

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    • 2020-12-02 à 09:00
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      Merci, Marie, pour ce témoignage. Oui, c’est très fort notre attachement à nos tribus. Un des grands cadeaux de notre condition humaine.

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  • 2020-12-02 à 10:35
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    Bonjour Isabelle, un article très pertinent qui, exception sur le sujet, ne défonce pas des portes ouvertes, bravo! Je le trouve au top dans la thématique de ton site même si, personnellement, je n’aime pas trop voir les entreprises copier les schémas relationnels perso pour tenter de les adapter à leur environnement. Mais cela dépend des entreprises. Il est certain que, suivant leur secteur, cela peut être très intéressant et devenir plaisant pour le personnel. Un article qui fait réagir et réfléchir, c’est une réussite ^^

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    • 2020-12-02 à 11:12
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      Merci, Clémentine. Intéressante, ta remarque sur l’usage que feront de cet article les entreprises. Effectivement, ça dépend desquelles… Mais si on ne secoue pas les cocotiers, on n’a pas de chance de récolter des fruits. Les communications d’entreprise m’intéressent au plus haut point. Il y a beaucoup à faire de ce côté, surtout en communications internes, les trop souvent oubliées. Merci encore pour ta lecture éclairée.

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  • 2020-12-02 à 11:05
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    LE thème abordé est intéressant. Pouvons-nous parler de « familles d’âme » pour comparer cela aux tribus ? C’est drôle que nous puissions appartenir à différentes tribus toute au long de notre vie 🙂
    Pour ma part, je reconnais tout naturellement la thématique de ma tribu !
    Merci pour cet article 🙂

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    • 2020-12-02 à 11:17
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      Merci, Julia, pour cette idée de familles d’âmes… pourquoi pas? Mais parfois on appartient en parallèle à des tribus de consommateurs ou de sportifs… je ne sais pas si le mot âme s’appliquerait dans ces cas-là (hi, hi). Qui sait?

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