Comment se fait-il que la communication se porte parfois si mal dans les entreprises et les organisations ? Qu’elle soit parfois perçue comme dangereuse ? Coûteuse ? Superflue ? Qu’elle soit réservée à sa seule fonction marketing ou d’affaires publiques ? Qu’on attende souvent qu’il y ait une crise pour embaucher un premier responsable des communications ?
Plus que de la vaisselle cassée
Pour y répondre, et pour vous offrir une grande variété d’exemples et de solutions éprouvées, j’ai choisi d’enquêter auprès d’entrepreneurs, de vice-présidents communication, marketing, du secteur privé, parapublic ou public, et de quelques experts-conseils qui ont tous en commun d’avoir la communication chevillée au cœur et de la pratiquer au quotidien.
L’un d’eux, Guy Giguère, coach de haut niveau, me confiait un merveilleux exemple de dysfonctionnement de communication qu’il a résolu en parlant d’argent. Eh oui, le manque de communication a un prix! Un prix fort. Le voici.
Le coût non mesuré des bris de communication
« Quand j’entre quelque part, ce que je vois, ce sont des bris de communication. Beaucoup plus que de la communication. Et les bris sont causés par le pouvoir, le contrôle, l’ego, des préjugés sur ce que devrait être ce poste ou pas; ils sont biaisés par des projections, par des attentes qui ne sont pas réalistes, par une certaine hauteur intellectuelle.
On a beau dire qu’on a cassé la verticalité pour faire de l’horizontalité dans les industries, on a créé une horizontalité économique, fonctionnelle, qui souvent n’a pas tenu compte du facteur humain. Alors, il y a encore beaucoup de pression, il y a encore beaucoup de bris de communication parce qu’on a juste écrasé quelqu’un, quelque chose, et qu’on n’a pas vraiment développé la collégialité.
Les décideurs ne règlent pas les problèmes entre les gens et ne se rendent pas compte qu’il y a un coût à ça, un coût indirect, un coût qui n’est pas mesuré. Mais quand je commence à tout décortiquer puis à expliquer la situation, ils comprennent combien ce coût est énorme. Là, ils commencent à réagir.
Une triste histoire
Voici un cas réel. Nous sommes dans une école de génie où une personne est responsable de la conciliation des notes de frais. Il y a cinq départements différents, et elle reçoit des notes de frais de cinq commis. Et elle est tellement «nanogestion» qu’elle fait une crise chaque fois qu’il y a un chiffre inversé sur un numéro de taxes et ça redescend de quatre étages. La filière bureaucratique s’active en bas, mais comme c’est rouge, il faut que ça remonte. Bref, un commis est chargé des va-et-vient entre les étages. Et pour une note de frais de 125 $ d’un étudiant qui avait droit à 300 $ de dépenses — qui n’a donc pas été extravagant —, ce compte est monté et descendu de quatre étages pendant un mois et demi. L’étudiant a finalement porté plainte parce que les 125 $ ne lui avaient toujours pas été remboursés. Les ressources humaines ont dû s’en mêler, et les finances aussi.
Et voilà qu’on m’invite à venir faire la médiation… pour une facture de 125 $! Je calcule alors tout le temps et l’énergie qui ont été mis là-dedans, le temps non facturable mais tout de même payé, pour me rendre compte que la dame qui est en haut a un problème.
J’ai fait une entrevue d’une heure avec elle, et le lendemain, elle m’envoie un verbatim de 12 pages de notre entretien. Imagine le temps passé là-dedans. Un jour — c’était à prévoir — elle entre dans son bureau, et il manque une bouchée à sa barre de chocolat; quelqu’un lui a fait une blague… elle fait aussitôt venir la sécurité pour qu’on relève les empreintes digitales du farceur. On ne s’était pas rendu compte qu’elle avait un problème psychologique.
Pourtant, elle occupait toujours un poste de contrôle, ce qui fait en sorte qu’une autre dame du premier étage a démissionné, épuisée.
Quand les dirigeants ne voient pas
Je finis par avoir une rencontre avec le directeur, un ingénieur qui a un PhD. Je n’en ai pas. Je n’ai pas de cravate, je n’en porte jamais. Il me regarde de haut, parce que je ne cadre pas avec l’image qu’il a d’un consultant. Il écoute la comptable des finances qui dit à la personne des ressources humaines :
— Comment se fait-il qu’il n’y ait pas eu d’évaluation de ABC ?
Elle se défile. Je lui dis :
— Si tu avais fait ton boulot, je ne serais pas ici.
Et là, le directeur s’exclame :
— Ha, ha, c’est des affaires de commis tout ça !
Il ne veut pas s’en mêler.
Le moment est venu de lui parler d’actif.
— Écoutez, indépendamment de ce que vous saisissez de moi, de mon non-verbal, ce que je décode c’est que je ne fais pas votre affaire. On va être francs, vous ne m’aimez pas la face. Je n’ai pas de PhD, mais j’ai une question à vous poser. Que feriez-vous avec 25 000 $ aujourd’hui ? Je veux une réponse honnête. Vous n’avez pas de financement.
— On a un appareil XYZ dans tel laboratoire, mais vous ne savez pas de quoi il s’agit.
— Oui, je sais. J’ai déjà fait du laboratoire. J’en ai fait dans d’autres universités, et je sais de quoi vous parlez. Je sais en quoi c’est utile. Donc, si je vous donne 25 000 $ aujourd’hui, vous l’achetez ?
— Oui, bien sûr.
— Parce que pour les 125 $ que vous n’avez pas réglés, toutes les démarches administratives qui en découlent, la personne qui a démissionné, plus mes frais, on est rendu à 26 000 $. Tout ça parce qu’au niveau de la gestion et de l’intelligence émotionnelle, on n’a pas su écouter, on n’a pas su communiquer les bonnes affaires, on a enduré une situation qui, pour 125 $, vient de vous coûter 26 000 $, et ce n’est pas encore réglé. Maintenant, dans votre département seulement, combien d’autres problèmes du genre y a-t-il?
Capter l’attention en trouvant l’argument qui ouvre le canal
Et là, tout d’un coup, ils écoutent. Je suis un ancien comptable industriel. Comme intervenant, je m’en sers. Des fois, il faut savoir sur quel piton peser. Quand je leur parle de capital humain, que je leur parle de talents, certains ne comprennent pas. Quand je leur dis : « Si tu fais ça, tu viens d’économiser 30 % de tes coûts indirects », là ils comprennent.
Donc dans la communication, il faut savoir aller chercher l’argument qui va rentrer dans l’oreille de l’autre. Je peux avoir les plus belles théories, les plus belles intentions, si le canal est fermé de l’autre côté, ça ne sert pas à grand-chose.»
Édifiant, non ? Et malheureusement très courant.
Ça vous parle, ça vous fait penser à quelqu’un, à un bris de communication en entreprise dans votre entourage? Faites-le savoir!
À très bientôt,
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Bonjour Isabelle
Les dirigeants sont souvent aveugle – j’appelle ça des blind spot.
Honnêtement c’est un fléau, c’est comme si le dirigeant pensait qu’il savait tout et que les autres point de vue ne lui apportent rien. C’est selon moi une faute professionnelle majeur.
Merci pour ce commentaire. Oui, cet exemple illustre un problème malheureusement assez courant, quoique pas universel. Et il faut nommer les choses pour les changer. Parfois aussi, ce sont des employés qui sabotent une dynamique. Mais c’est une autre histoire. Nous y reviendrons à travers différents articles.
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