Le monde imaginaire est un monde intime, personnel, puisqu’il s’agit de notre représentation des choses. On ne saurait être plus en accord avec soi-même qu’en vivant un moment imaginaire. La forêt nous y invite, nous y pousse.
Ce n’est un secret pour personne, je suis une papivore, une lectrice assidue et une amoureuse du papier. Cette noble matière recyclable vient d’une ressource naturelle, renouvelable : la forêt. Nous avons beaucoup de chance au Canada : notre forêt recouvre 45% du territoire. Ces textes nous rappellent que la forêt a besoin de nous et que nous avons besoin d’elle.
Il était une fois la forêt, ce fut d’abord un beau livre que j’ai écrit pour célébrer les arbres et l’incroyable richesse qu’ils représentent pour les humains et la biodiversité. Pour ce faire, j’ai interviewé 12 conteurs, chacun expert dans son domaine. Laissez-les vous parler de la forêt avec amour et respect, comme si vous aviez la chance de les écouter autour du feu…
Aujourd’hui, écoutons la peintre Marie-Andrée Tardif nous parler d’imaginaire et de création. Son œuvre, sa vie, sont un hymne à l’arbre et à la forêt.
Le temps et la distorsion du temps
Quand j’entre dans la forêt, je passe comme par enchantement du brouhaha de la vie moderne, avec tous ses tracas, à un monde… intemporel, totalement différent, pour ainsi dire superposé à la réalité quotidienne. J’entre dans le silence. Je me sens comme aspirée.
Les images que je vois sont probablement les mêmes qu’il y a 300 ou 400 ans. Les arbres sont comme de vieux sages, témoins du temps protégé dans leur domaine. Cela fait de la forêt un lieu sécurisant, favorable à la méditation.
D’un autre côté, j’ai toujours l’impression d’arriver au milieu d’une sorte de mise en scène, sans trop savoir à quoi m’attendre. C’est comme si dame Nature m’avait préparé un spectacle singulier, chaque fois différent, parce que l’éclairage n’est jamais le même, et parce que les costumes changent. Un spectacle à la fois grandiose et spontané.
Grâce aux saisons, on goûte au rythme. En forêt, tout est à la fois lent et rapide. Lent, parce que tellement riche de stimulations qu’un moment peut y paraître très long. À l’inverse, quand ça va vite, les choses se bousculent plus rapidement qu’on ne l’aurait imaginé. C’est ainsi que vers la fin de l’été, par exemple, on reste estomaqué devant l’arbre au vert feuillage il y a une semaine encore, et qui commence soudain à rougir, annonçant un changement qui ne saurait tarder. Au gré du temps et au fil des métamorphoses, l’arbre est toujours là. La forêt est là pour nous rappeler le passage des saisons. Mais nous avons tendance à l’oublier, car nous vivons dans un monde où trop de choses nous étourdissent, un monde où nous nous croyons éternels. Mais la vie n’en reste pas moins un cycle dont il faut savoir profiter à chaque instant.
L’élévation
L’arbre, c’est un peu notre symbole. Planté sur Terre, il tente de s’élever vers la lumière. Il cherche un passage. Il cherche à comprendre. Il cherche la posture la plus avantageuse. Je me sens un peu dans la même poursuite, dans la même quête.
De plus, l’arbre nous permet de lui prêter nos intentions. Si j’entre dans la forêt alors que, par exemple, j’ai besoin de réconfort, les arbres s’unissent tels de vieux devins pour me calmer. Je m’appuie contre un arbre et je sens aussitôt son énergie apaisante. Si, un autre jour, je viens d’apprendre une bonne nouvelle et que j’ai l’esprit à la fête, toutes les feuilles bougent et j’imagine autant de petites mains qui applaudissent. Peu importe ce que je ressens, les arbres m’accompagnent dans mon état, dans mon besoin, dans ce que je recherche.
En forêt, on retrouve un côté de soi plus humble et plus intuitif. On est face à une masse colossale. Entre eux, les hommes cherchent souvent à prendre le contrôle, alors que seul, au fond d’un bois, on se sent petit, touché par tant de magnificence.
L’imagination
Qu’est-ce qui nourrit l’imagination?
Faire une marche en forêt quand on est fatigué, étourdi, accaparé… Et là, tout à coup, ressentir le calme. L’harmonie. La cohésion. La beauté. Se rendre compte qu’il n’y a pas beaucoup de place dans sa journée pour laisser vivre l’imagination. On ne se dit pas, dans le flot de ses activités : «Tiens, je vais m’offrir un moment imaginaire.» C’est du moins peu probable, puisque dans ce monde-ci – hors de la forêt –, tout doit être organisé. Il faut que tout soit fonctionnel. Et que tout aille vite, alors que l’imagination, ça demande du temps, de l’espace et du calme. Ce n’est pas une recette, ni une peinture à numéros! Prendre du temps pour imaginer les choses, ça veut d’abord dire se connecter à soi, à ses émotions. Ça semble trop souvent un luxe, aujourd’hui, non?
L’imagination, c’est se faire une idée de quelque chose. Le monde imaginaire est un monde intime. Dans le fond, il n’y a pas plus personnel que le monde imaginaire, puisqu’il s’agit de notre représentation des choses. On ne saurait être plus en accord avec soi-même qu’en vivant un moment imaginaire, où toute l’information disponible et tout ce que nous avons pu voir, ressentir et entendre passe à travers notre prisme et s’exprime en notre for intérieur.
Sans doute la mer permet-elle aussi d’accéder à ce tréfonds, à cet imaginaire. Sous l’eau, en profondeur, l’imagination ne manque pas de s’emballer. Mais le milieu est pour moi moins rassurant du fait qu’on lui est physiquement étranger. La forêt est l’endroit où je me sens le plus rassurée, le plus protégée, aussi bien du tourbillon de la vie moderne que de la pluie et de la chaleur. Elle m’offre un moment d’introspection merveilleux.
La création
Ce qui m’anime dans mon travail, grâce aux saisons et à la forêt, ce sont les couleurs qui changent, qui enclenchent le processus artistique et qui me fournissent déjà de la matière visuelle. Par le choix de la couleur, dans ma peinture, dans mon atelier, je dégage l’émotion de mon sujet.
Dans une forêt d’automne très rouge, par exemple, on est heurté de plein fouet par la force des symboles. Aujourd’hui, le rouge a une signification différente d’autrefois, notamment en raison des innombrables images de guerre que nous servent les médias. Avant, le rouge, c’était l’amour! Il n’y a qu’à demander aux aînés! Maintenant, il risque de rappeler les conflits armés, de suggérer le sang, d’évoquer violence et blessures. Alors, se retrouver dans une forêt rouge, où tout à coup la couleur s’incarne dans la matière et prend tout son sens, aidée par la lumière, dans un ensemble paisible qui rappelle que la vie est un cycle… Il faut vite en profiter, parce que tout ce rouge va bientôt disparaître et retourner à la terre pour permettre aux ingrédients de la création de se renouveler.
Un autre moment enchanteur pour le promeneur est celui de la première neige. C’est comme si une main géante avait tamisé de la farine. On dirait vraiment de la poudre. Sans compter qu’au moment où tombe la première neige, il y a encore des feuilles, auxquelles elle colle par endroits, mais par endroits seulement. C’est de toute beauté. Vraiment magique.
Et que dire de l’éclairage comme source d’inspiration? En fin de journée, le ciel peut passer du bleu violacé au rose et au mauve profond avant de tourner au bleu indigo. Mais ça ne dure pas longtemps, car la lumière descend vite, surtout l’hiver. Le matin, ce sont les rayons en faisceaux qui bouleversent. Quand le soleil se lève, ils sont presque horizontaux. Ça donne l’impression de petits cristaux de lumière qui vibrent quand des flocons s’y mêlent. Ça crée une sorte de ballet. Féérique!
La beauté de la nature et son incroyable cohérence composent une œuvre d’une perfection inégalée, mais qu’on oublie trop souvent d’admirer. Nous perdons trop facilement de vue qu’à nos pieds et devant nos yeux vit quelque chose d’extraordinaire, de plus grand que soi.
De peintre en peintre, de visite en forêt à une autre, l’arbre nous entend, nous parle, exalte notre imaginaire
Au Québec et au Canada, des peintres ont consacré leur vie à capter l’essence de la forêt, pour notre plus grand bonheur. L’un de ceux-là est bouleversant. Il me bouleverse. Il s’agit de Marc-Aurèle Fortin. Je profite de e moment pour vous le présente.
Marc-Aurèle Fortin a jadis été ébloui par l’arbre, qui a d’ailleurs occupé un espace central dans son travail. Ce qui impressionne dans son œuvre, c’est que, pour lui, il n’y avait pas de dissociation entre le fond et la forme. Il semble avoir peint un trou dans l’arbre comme une tache dans le ciel, parce que tout fait partie d’un ensemble, d’un même univers où tout est relié. C’est très puissant. Très émotif. Et c’est précisément cette émotion que l’artiste cherche à capter et à transmettre.
Bonne exploration, bonne balade, bon imaginaire.
Cet article vous fait penser à quelqu’un? N’hésitez pas à lui faire suivre.
Dans le 8e épisode, nous aborderons la forêt comme lieu d’écotourisme.
À tout bientôt,
Vous souhaitez (re)lire les premiers articles de cet ensemble? C’est ici!
Cet article est très intéressant, merci ! Je suis ravie d’avoir découvert ton blog. Et ces oeuvres sont vraiment sublimes…
Merci, Cécile. C’est gentil. À bientôt!
Merci beaucoup Isabelle pour ce très beau partage qui ouvre mes chakras … je suis particulièrement connecté avec la forêt à tel point que j’ai développé une méthode de respiration méditative pour se connecter à un arbre, en forêt de préférence … cette connexion avec le monde végétal me ressource et m’apporte un lâcher-prise très épanouissant que j’ai ressenti au fil de la lecture des mots de Marc-Aurèle Fortin 🙏
Bonjour Éric, merci pour ton commentaire. Je reconnais bien là ta sensibilité. L’histoire de la forêt se poursuit sur les 5 prochains mois!
Je me suis baladée dans la forêt tout au long de cet article. Même à travers l’imaginaire, on ressent l’apaisement apportée par ce qu’on veut bien percevoir et recevoir de la nature. C’est un réel plaisir de découvrir ces deux artistes que tu nous présente ici.
Au plaisir de lire la suite de la série !
Merci, Vero, grande amoureuse de la forêt. Heureuse d’avoir pu te faire découvrir ces merveilleux artistes 🙂