C’est en observant les animaux des forêts et des champs que les humains ont appris à se nourrir et à se soigner. Les animaux ayant les sens beaucoup plus aiguisés qu’eux, les humains les ont pris pour guides.
Un savoir lointain
Ce n’est un secret pour personne, je suis une papivore, une lectrice assidue et une amoureuse du papier. Cette noble matière recyclable vient d’une ressource naturelle, renouvelable : la forêt. Nous avons beaucoup de chance au Canada : notre forêt recouvre 45 % du territoire. Ces textes nous rappellent que la forêt a besoin de nous et que nous avons besoin d’elle.
Il était une fois la forêt, ce fut d’abord un beau livre que j’ai écrit pour célébrer les arbres et l’incroyable richesse qu’ils représentent pour les humains et la biodiversité. Pour ce faire, j’ai interviewé 12 conteurs, chacun expert dans son domaine. Laissez-les vous parler de la forêt avec amour et respect, comme si vous aviez la chance de les écouter autour du feu…
Aujourd’hui, écoutons la formidable herboriste, thérapeute et conférencière Anny Schneider nous de la forêt qui nourrit et qui soigne…
Au début des temps, les hommes partaient en hordes pour être plus forts et plus efficaces au moment de traquer les troupeaux, tandis que les femmes restaient derrière, surtout quand elles étaient enceintes et physiquement affaiblies. On sait maintenant que les femmes ont moins de muscles et de protéines que les hommes, mais qu’elles ont plus d’hormones et de gras pour donner la vie. Elles restaient donc autour des habitations, des grottes ou des huttes, et apprenaient à connaître leur écosystème pour se nourrir et soigner leurs petits.
Dans le Sud, elles ont compris que si elles conservaient les graines d’une espèce donnée et les semaient au bon moment, elles pouvaient cultiver, par exemple, des courges ou du maïs. Dans le Nord, on trouvait plutôt des cueilleurs et des nomades qui suivaient les floraisons, les fruits et les troupeaux. Si les femmes connaissaient mieux les plantes et les herbes, c’est qu’elles étaient plus proches de leur environnement immédiat.
C’est en observant les animaux que les humains se sont dit: «Si c’est bon pour eux, c’est peut-être bon pour nous aussi.» Les animaux ayant les sens beaucoup plus aiguisés qu’eux, les humains les ont pris pour guides. D’où les noms qu’on a parfois donnés aux plantes: le chiendent, sur lequel le chien se précipite au printemps pour se purger de ses pierres au foie; la cataire (de «chat») parce que les matous se roulent dessus et en mangent pour aviver leur virilité.
Noms dérivés ou pas, tous les animaux se soignent naturellement. Même les vaches se traitent au trèfle rouge et au chiendent, des graminées dont les protéines végétales complètent celles des légumineuses et les aident à mieux se porter. Et chacun sait que les oiseaux sont attirés par certains petits fruits nécessaires à leur survie. Un peu comme les abeilles qui choisissent des nectars thérapeutiques diversifiés leur permettant de nourrir la ruche, des larves jusqu’aux reines… Il y a donc là un aspect important de la biodiversité, dont l’appauvrissement menace différentes espèces. Cela pourrait d’ailleurs expliquer l’actuel effondrement des colonies d’abeilles, justement, et ce, partout dans le monde.
Notre histoire récente
Une fois sauvés du scorbut par les Amérindiens, les colons ont tôt fait de bousculer l’ordre des choses. Dans la plaine, on trouve maintenant beaucoup de plantes naturalisées. En fait, 80 % des plantes qui y poussent –le chiendent, le pissenlit, le plantain, la mauve, le trèfle rouge– sont des plantes naturalisées. Ce sont nos ancêtres –colons, apothicaires et jésuites– qui les ont importées, consciemment ou non. Le premier colon dûment enregistré à l’île d’Orléans, Louis Hébert, était apothicaire et herboriste ! Samuel de Champlain a lui-même promulgué que chaque famille devait apporter huit sortes de plantes, de graines ou de racines pour assurer la survie de la colonie, pour soigner ou nourrir les gens. En général, on connaissait beaucoup mieux les plantes à l’époque. Elles étaient accessibles et gratuites, et constituaient la médecine du peuple.
Mais on a vite pris conscience de la richesse des ressources locales. C’est comme ça qu’on a éradiqué –ou presque– de nombreuses espèces, tel le ginseng, qui ne se trouvent plus que dans les forêts matures.
Nous en sommes aujourd’hui à un tournant, où les gens réalisent qu’il existe, dans les forêts matures, des plantes, des animaux, des insectes et des batraciens qu’on ne trouve nulle part ailleurs. À vrai dire, les seules plantes réellement indigènes –ce qui vaut également pour les arbres et même les espèces animales– ne se trouvent plus que dans les forêts matures et dans les marais.
Côté arbres
La forêt mature, c’est une forêt parvenue au sommet de sa croissance et de son développement. Ses arbres tombent et se couchent lorsqu’ils ont atteint leur limite de vie. De leur vivant, les plus forts gagnent, et quand ils ont fait leur temps, ils laissent la place à leurs rejetons. Cela dit, même mort, un arbre n’est pas inutile, car il héberge diverses formes de vie.
Quand un chêne meurt
Sur un chêne mature, par exemple, on dénombre environ 50 espèces vivantes –écureuils et autres rongeurs, oiseaux, larves, champignons et plantes— qui ne poussent que là où il y a de l’humus produit par les feuilles de chêne, sans compter la galle, qui est elle-même médicinale… Et bien sûr, l’écorce, si utile. Le chêne, c’est le symbole par excellence de la maturité d’une forêt de feuillus. C’est l’arbre du grand druide.
Une forêt naturelle, c’est autant de plantes indigènes que d’arbustes, de petits fruits et de plantes non ligneuses aux propriétés aussi bien médicinales qu’alimentaires. Tout y a son utilité. Comme le Coriolus versicolor, ce champignon qui foisonne sur les vieilles souches –on dirait une langue. Vous le mâchez doucement; ça goûte le bois, la forêt, et ça régénère les tissus. Ça soigne tout ce qui est gorge, poumon ou excroissance anormale des tissus. Un bel exemple de la théorie des signatures!
Pruche salutaire
On parle aussi d’analyse organoleptique –pouvant être appréciée par les sens: toucher, goût, odorat. Pour en avoir déjà mangé, vous savez que la vitamine C est acide. Or, les jeunes pousses de la pruche, notre conifère national, sont extrêmement riches en vitamine C, et l’on peut en manger. C’est à la fois tendre, parfumé et un peu acidulé. Et ça fait des merveilles sur les poumons, la gorge et les intestins. Par ailleurs, son huile essentielle contient nombre de terpènes anti-inflammatoires, et ses tanins servent au tannage des peaux.
Mon beau sapin, roi des forêts
Quant à notre sapin, c’est un arbre magique! Ce n’est pas par hasard qu’il symbolise l’éternité et notre lien avec le cosmos, sans bien sûr oublier Noël… Saviez-vous qu’on exporte partout dans le monde l’essence de sapin baumier, une essence très répandue au Canada et devenue l’emblème du Nouveau-Brunswick?
Avec la gomme de sapin, on fait un des meilleurs sirops contre la toux qui soient. En cas de verrue, de furoncle, de clou ou de quelque autre infection cutanée, il suffit de recueillir la sève avec un petit couteau et d’en recouvrir la plaie avec un pansement. Répéter l’opération en nettoyant chaque fois avec de l’huile –le solvant de la gomme de sapin. Un lavement à la gomme de sapin mélangée à du jaune d’œuf permettra d’évacuer des parasites. Antifongique, une décoction en douche vaginale luttera contre les champignons. On peut aussi s’en servir pour un bain de pieds et bien d’autres choses encore.
Sans doute est-ce même le sapin –riche en vitamine C– qui a sauvé les premiers colons du scorbut, et ce, grâce au chamane huron Domagaya. Ou était-ce le thuya ? Ou encore l’épinette ? Les historiens ne s’entendent toujours pas sur la question.
Quoi qu’il en soit, ces trois arbres sont à l’étude pour leurs vertus antitumorales à l’Université Laval.
Côté fleurs
Les fleurs avec lesquelles se soigner sont nombreuses et généreuses. Elles surgissent au détour d’un sentier de campagne, d’un sous-bois au printemps ou en plein soleil, dans les champs. Certaines d’entre elles servent de teintures. D’autres sont comestibles. Toutes nous enchantent.
La mauve, par exemple, peut faire un bon rince-bouche et servir de cosmétique antirides, alors que la fleur de millepertuis donne une tisane euphorisante et, en huile, apaise les coups de soleil. Et la populaire menthe est aussi bien utilisée en sirops qu’en pastilles, dentifrices, lotions, shampoings et produits de nettoyage.
La monarde
On la trouve le plus souvent à l’orée des bois clairs, sur des terrains en pente. Native du centre de l’Amérique du Nord, la monarde est spectaculaire. Le parfum de ses fleurs hermaphrodites est suave, citronné et camphré ; leur goût, sucré et mentholé. Les Amérindiens Oswego du sud du lac Ontario l’utilisent depuis des siècles contre les empoisonnements alimentaires et les parasites intestinaux. Les Cherokee confectionnaient un onguent hydratant et antipou avec des têtes de monarde mijotées dans de la graisse d’ours. Analgésique, digestive, fébrifuge, antibiotique, anti-inflammatoire, parasiticide…, ses qualités sont innombrables.
La scutellaire
On la trouve en abondance au bord des rivières et des étangs. Dans plusieurs tribus amérindiennes, la scutellaire faisait partie des mélanges d’herbes de la lune qu’on donnait aux femmes pour les aider à se calmer et à se purifier durant leur isolement dans la tente menstruelle. Elle servait aussi en cas de rupture de tabous sexuels, et les Cherokee l’employaient contre la fièvre des marécages. De nos jours, elle demeure utile pour apaiser les nerfs trop tendus, de même que pour se sevrer de la nicotine et d’autres alcaloïdes.
Le sureau
Arbuste caduc à croissance très rapide, le sureau noir affectionne les berges et les ruisseaux. En fait, il se plaît partout, sauf dans la grande forêt de conifères. De tous les temps, le sureau est l’arbuste auquel on attribue le plus de propriétés magiques. Les infusions faites à partir de ses fleurs agissent contre la fièvre et stimulent le corps à se régénérer naturellement.
Le saviez-vous ? À peu près 80 % de toute la matière médicale utilisée dans le monde – la materia medica – est toujours tirée des plantes. Alors, la prochaine fois que vous serez en forêt, ouvrez l’œil, respirez, et regardez de près tout ce qu’elle a à offrir, un arbre, une plante à la fois…
Cet article vous fait penser à quelqu’un? N’hésitez pas à lui faire suivre.
Dans le 6e épisode, nous profiterons de la forêt comme lieu de loisirs et de détente.
À tout bientôt,
Vous souhaitez (re)lire les premiers articles de cet ensemble? C’est ici!
Merci Isabelle pour ce bel article sur la forêt, alliant histoire, botanique, principes thérapeutiques, et exposé de façon poétique. La photo du thuya est très belle. J’ai bien aimé le paragraphe évoquant la femme : « On sait maintenant que les femmes ont moins de muscles et de protéines que les hommes, mais qu’elles ont plus d’hormones et de gras pour donner la vie. Elles restaient donc autour des habitations, des grottes ou des huttes, et apprenaient à connaître leur écosystème pour se nourrir et soigner leurs petits. » La forêt renferme, sur plein d’aspects, d’énormes qualités thérapeutiques. merci
Merci à toi, Emma, pour ton commentaire. Oui, la forêt est généreuse, et nous reconnecte avec la vie sans détour. À visiter sans modération 🙂
Un très bel article complet, emprunt de poésie autant que de connaissances. Merci pour ce partage qui nous fait revenir à l’essentiel 🙂
Merci pour tes bons mots, Louisiane. Oui, l’essentielle forêt. Trop facile à oublier!
Quel article intéressant. MAis oui, ils avaient bien raison de transporter les plantes et arbres. Ca parait si loin de nous, il faudrait revenir un peu à la nature et surtout mieux la préserver. ♥️
100% d’accord avec toi, Yseult. C’est bien pour cela que j’essaie de la faire mieux connaître. Merci pour ton mot!
Merci pour cet article poétique et instructif. J’ai adoré ! 😀
Tant mieux, Miren. Je m’en réjouis!
Merci Isabelle, quel bel erticle, enrichissant. J’irais grignoter un peu de bourgeons lors de ma prochaine balade. J’ai adoré apprendre toutes ces vertus ancestrales de nos copines les plantes.
Elisa
Merci, Elisa. J’espère que cet article t’inspirera de nouvelles histoires pour les enfants. Il faut qu’ils soient exposés à la richesse de la forêt et aux savoirs trop souvent perdus.
Excellent article sur la forêt nourricière ! Dommage que nous ayons perdu ces connaissances ancestrales…
Merci, Marie-Aude, pour ton appréciation. Perdues, pas tout à fait! Mais c’est à travers des leçons d’herboristerie qu’on peut maintenant y accéder. Ça n’est pas comme suivre, enfant, ta grand-mère dans les bois, j’en conviens.